On a tendance à confondre les lithos, comme on les appelle, avec n’importe quelle reproduction en couleur d’une oeuvre artistique. Quand on veut décorer son appart, on entre donc dans la grande surface bricolage du coin, on cherche le rayon déco et on fait son choix parmi les dizaines de « lithos » proposées. Ou, plus pratique, on va sur son canapé, on ouvre une appli, puis, on va sur un site spécialisé.

Et là, on a une offre encore plus grande de « lithos ». Sauf que, on l’aura compris, si la litho a toujours été un art populaire, il y a litho et litho. Tout dépend de la manière dont une litho a été fabriquée.

Disons, d’emblée, que c’est la raison pour laquelle les amateurs d’art ont pour habitude de distinguer la banale « litho » de la lithographie proprement dite.

 

Différence entre « litho » et lithographie

La litho reproduction

Ce qu’on appelle, en général, « litho » n’est, la plupart du temps, qu’une oeuvre originale reproduite en utilisant le procédé mis au point par Chester Carlson en 1938. Autrement dit, la xérographie.

Du nom de l’entreprise qui fut la première à l’exploiter de manière industrielle et ce qui fit sa fortune. On parle, bien sûr, de Xerox que tout le monde connait.

 

CHESTER CARLSON
Chester Carlson

 

Mais, avant que Xerox ne devienne Xérox, Chester Carlson avait baptisé son système d’électro-photographie et dans ce temps-là, Xerox ne s’appelait pas Xérox, mais Haloid. Ce n’est qu’en 1961 que l’entreprise créée, en 1906, à Rochester, par Joseph C. Wilson, a pris le nom de Xérox.

Evidemment, depuis, la société a connu bien des tribulations et, un temps, elle a même fait partie de Fuji films. Avec la xérographie, les tirages peuvent atteindre des milliers d’exemplaires, à prix réduit.

Et suivant la taille du tirage, on utilise une imprimante perso, ou on fait appel à un imprimeur professionnel et à ses presses numériques ou offset. A noter que ce dernier procédé d’impression est issu de la lithographie.

 

Faire imprimer une lithographie

Le fait est que la lithographie a connu son heure de gloire entre le milieu du 19 ème siècle et le début du 20 ème. Comme aujourd’hui, avec l’impression numérique ou offset, elle a permis une large diffusion des documents imprimés.

Et avant de devenir artistique et célébrée par des artistes comme Goya, Delacroix ou Déveria, elle a accompagné et soutenu l’essor de la « réclame » en étant le procédé d’impression privilégié des affiches de l’époque.

De sorte que des artistes comme Toulouse-Lautrec ou Mucha se feront d’abord connaître comme affichistes. C’est de ce courant qu’est issu le renouveau actuel de l’affiche créative.

 

Mucha
Alphonse Mucha

 

Une lithographie est une oeuvre d’art

Ce lien entre un artiste et son oeuvre imprimée est la première marque de fabrique d’une lithographie. En effet, la production d’une lithographie implique une collaboration étroite entre le créateur de l’oeuvre et le lithographe. Henri Bouchot, qui a dirigé le cabinet des estampes de la BNF, de 1898 à 1906, a écrit dans le livre qu’il a consacré à la lithographie que :

Dans la hiérarchie des arts, la lithographie a droit à une place d’honneur. Elle n’est pas l’adaptation de la pensée d’un créateur par un traducteur plus ou moins adroit. Elle est l’oeuvre même de ce créateur. 

 

Une lithographie est une gravure sur pierre

Le fait est que pour faire une lithographie, il faut une pierre calcaire, en général, de Bavière. Par suite, c’est de là que vient le mot lithographie ; pierre, en grec, se dit lithos. Cependant, pour être utilisable, la pierre doit être polie par une autre, plus petite.

 

Henri Bouchot
Henri Bouchot

 

Et, pour ça, on met du sable entre les deux et le polisseur fait autant de « huit » que nécessaire pour rendre la pierre prête à être gravée. 

Cette gravure est faite par l’artiste lui-même. Il trace son sujet, à l’envers, avec un crayon gras et il le fait sur autant de pierres qu’il a de couleurs à imprimer. C’est, ensuite, au lithograveur d’encrer chacune des pierres avec un rouleau encreur imbibé d’encre lithographique.

Il se sert pour cela de l’antagonisme entre l’eau et les corps gras. Puis, pour chacune des couleurs prévues par l’artiste, il presse, feuille à feuille, la lithographie. 

Une lithographie n’a, donc, pas grand-chose à voir avec une photocopie. C’est que ça prend du temps. Chaque feuille doit être bien calée, bien humectée et séchée !

 

Différence entre une lithographie et une estampe

Comme on l’a évoqué plus haut, la lithographie est un procédé de reproduction relativement moderne. Il a été inventé par Aloys Senefelder à la fin du 18ème siècle. Il a rassemblé tout son savoir-faire dans un guide pratique qui détaille le procédé.

 

ALOYS SENEFELDER
Aloys Senefelder

 

Une lithographie est une estampe

Cela dit, les imprimeurs n’ont pas attendu la lithographie pour faire des tirages d’oeuvres d’art. La lithographie n’est, d’ailleurs, de ce point de vue qu’une sous-catégorie de la catégorie générique qui regroupe toutes les images réalisées à l’aide d’une planche, gravée et encrée. Autrement dit, les estampes.

Le mot estampe ne vient pas du latin ou du grec, mais de l’italien. Plus exactement du mot « stampa » qui veut dire « impression » et qui lui-même dérive du mot germanique « stampjan ». 

Par suite, une lithographie est une estampe, mais une estampe d’un genre particulier, puisque la planche qui sert à la graver est une pierre. Et naturellement ; l’imagination étant reine au royaume de l’impression ; pour faire une planche à graver, il n’y a pas que les pierres que Xavier Dorotte a soigneusement classé, avec leurs caractéristiques, dans son ouvrage intitulé « La lithographie ».

 

Un estampe est désignée par la nature de sa planche à graver et la méthode utilisée. 

On peut graver sur bois, c’est le procédé le plus ancien, il a été inventé en Chine, au 8ème siècle, et cela donne la xylographie et la linogravure. Cela fonctionne, en quelque sorte, comme un tampon encreur. On retrouve le même principe dans la flexographie, idéale pour l’impression des étiquettes et des sacs en plastique.

Avec ce procédé, on parle de gravure en taille d’épargne. Mais, on peut graver aussi sur des plaques de métal, en général, du cuivre. C’est ce qu’on appelle la gravure en taille douce ou en creux. On est donc à l’opposé du système précédent.

Et, pour faire les creux dans lesquels l’encre va se déposer, on utilise, notamment, un burin, ou une pointe sèche, ou encore de l’eau-forte. La méthode choisie pour la taille douce est à tel point marquante qu’elle sert aussi à désigner l’estampe qui en résulte.

Suivant ses goûts, l’amateur d’estampes recherche donc des « burins », des « pointe-sèches » ou des « eau-fortes »

 

point seche
Un estampe est désignée par la nature de sa planche à graver et la méthode utilisée.

 

Dernière sous-catégorie qui ne saurait être négligée, la sérigraphie. Là, retour au latin pour en comprendre le sens. Le mot vient, en effet, du latin « sericum » qui signifie soie et du grec « graphein » qui signifie écrire.

Bref, la sérigraphie se sert d’un écran de soie, interposé entre l’encre et le support à imprimer, en utilisant la technique du pochoir.

Compte tenu de toutes ces spécificités, une reproduction réalisée, en particulier, par électro-photographie, pour reprendre le terme de son inventeur, Chester Carlson, ne peut pas être considérée comme une estampe.

De ce fait, sa valeur est, naturellement et significativement, moindre. Cela dit, la valeur d’une estampe, et en particulier d’une lithographie, va dépendre de plusieurs facteurs. 

Il peut y avoir ainsi une différence considérable entre les valeurs de deux lithographies ayant le même thème. Un connaisseur ne s’y trompe pas. Comme tout amateur d’art chevronné.

Ce n’est qu’une question de paramètres, finalement comparables, dans leur principe et toute chose égale par ailleurs, à ceux qu’on utilise pour différencier la valeur de n’importe quel bien meuble ou immeuble.

 

Quel est le prix d’une lithographie ?

Pour ce qui concerne les lithographies, mais cela vaut aussi, à des degrés divers, pour toutes les estampes, il y a quatre grands paramètres à prendre en considération pour se faire une idée de leur valeur et du prix qu’un amateur est prêt à y mettre pour en faire l’acquisition.

Le papier

Une lithographie est forcément imprimée sur un papier de la plus haute qualité. En général, un vélin d’Arches, un BKF Rives ou un Japon nacré. Le vélin peut avoir l’apparence du parchemin, mais sa fabrication n’a plus rien à voir avec les peaux de veaux qui lui ont donné son nom.

Aujourd’hui, c’est un papier mince, pur fil et souvent très blanc. La mention Arches est celle du fabricant, propriété du groupe papetier suédois Alhstom-Munksjö-Oyj.

Le BKF Rives est commercialisé par la même entreprise que le vélin. Son nom vient de la société Blanchet Frères er Kléber qui le produisait à Rives dans l’Isère. La société n’existe plus et il n’y a plus de papeterie à Rives, mais le nom est resté. Le BKF Rives se caractérise notamment par des bords frangés. 

Le Japon est un papier très rare. Dans le tome III de son livre consacré au papier, Albert Cim le décrit de la manière suivante : 

Le Japon absorbe l’encre très facilement et fait, on ne peut mieux, ressortir les tons du dessin. Il est d’un maniement qui exige des précautions ; c’est un papier qui redoute les frottements, qui ne peut supporter aucun grattage, ni nettoyage sans s’effilocher, aucun lavage ; un papier réputé « fragile », ce qui ne l’empêche pas d’être très consistant et très résistant, très solide, souvent presque indéchirable. 

On l’appelle aussi le Washi. Il est fabriqué à partir de fibres d’arbrisseaux de la flore japonaise, le mitsumata, le kozokodzou et le gampi. Chaque espèce donne une caractéristique particulière au papier.

 

ARBRISSEAU JAPONAIS MITSUMATA
Mitsumata

 

La papeterie française Claire Fontaine fabrique un « Japon », similaire au washi, autrement dit, un simili-Japon. Le Japon se prête particulièrement bien à l’impression de calligraphies.

 

L’état

Vu la complexité des opérations pour obtenir une lithographie impeccable et définitive, on comprend que l’artiste et le lithographe procèdent à un certain nombre d’essais. Ces essais, au sens large, sont des versions ou des états.

Ils peuvent correspondre à des changements dans l’ordonnancement du dessin gravé ou dans le choix des teintes. Chaque état peut ainsi être numéroté avec un chiffre romain. Et naturellement, l’état ayant fait l’objet du plus faible tirage et le moins connu aura le plus de valeur.

 

Le tirage

Le tirage d’une lithographie peut aller de quelques dizaines d’exemplaires à plusieurs centaines. Et, en principe, une fois le tirage accompli, la pierre est effacée. Plus le tirage est réduit, plus la lithographie est unique. L’ordre dans le tirage est sans importance dans sa valorisation, sauf s’il correspond à un état particulier.

Un des états les plus recherchés est l’état qu’on appelle l’état avant la lettre. Il correspond à une des toutes premières impressions et, pour cette raison, il comprend très peu d’exemplaires. Et pourtant, il ne comporte ni légende, ni signature !

 

La signature

En principe, la signature portée par une lithographie est celle de l’artiste qui l’a composée. Elle figure alors dans la plaque où elle y a été gravée, on parle, de ce fait, de signature dans la plaque, ou en marge, si elle y a été inscrite au crayon.

En général, on trouve les deux sur un même exemplaire. La signature au crayon équivaut, en réalité, à une sorte de visa ou de BAT que l’artiste appose à la main sur chacune des épreuves de son oeuvre. Et comme on y accole le numéro dans la série, on dit alors que la lithographie est justifiée.

Cela dit, il y a trois types de signature. Il y a celle, la plus valorisée, qui vise une lithographie originale, c’est-à-dire créée par l’artiste tout exprès. Mais, il y a aussi celle qui figure sur une lithographie d’après l’artiste. Dans ce cas, l’artiste s’est contenté de valider une gravure faite par un lithographe professionnel.

Et, enfin il y a la signature d’interprétation, plus ou moins visible, qui signifie simplement qu’une lithographie a été faite par un lithographe professionnel avec l’accord de l’artiste ou, plus généralement, de ses ayants-droits. Ces dernières ne sont pas, pour autant à négliger, car certains graveurs, ou éditeurs d’art, peuvent avoir aussi une très forte notoriété.

 

Le marché de la lithographie

Le marché de l’art n’est bien souvent guère accessible aux amateurs ne disposant que d’un petit budget. De ce fait, seul le hasard ou le coup de chance peut conduire à l’acquisition d’une oeuvre de premier plan.

Or, pour qui veut prendre la peine de s’y intéresser, le marché des estampes constitue un excellent moyen de se constituer une collection pérenne, de grande valeur, sans avoir à y consacrer des sommes considérables.  

Compte tenu des procédés utilisés pour leur fabrication, les lithographies constituent une des parts les plus profitables de ce marché.

A titre d’exemple, si un tableau, 100 x 65 cm, de Bernard Buffet peut être estimé, à au moins 80 ou 100 000 euros, en prix de départ, en salle de ventes, une lithographie originale du même artiste, de 68 x 52 cm, signée dans la planche et répertoriée dans un catalogue raisonné, pourra, elle, être estimée autour de 300 à 400 euros. Egalement en prix de départ.

Ce qui ne préjuge donc en rien du résultat final de l’adjudication, s’agissant d’un artiste particulièrement recherché sur une place de marché comme Interenchères. Mais, c’est nettement plus accessible ! On le voit, l’acquisition d’une belle lithographie peut s’avérer à terme aussi profitable que l’oeuvre qui l’a inspirée, car, en principe, sa valorisation suit un chemin parallèle.

Cela dit, en matière d’art, ce qui compte, au final, c’est le plaisir d’avoir sous les yeux autant de fois qu’on le souhaite, une oeuvre qu’on a longtemps désiré et qui, pour cette raison, est inestimable. Pas sûr qu’en accumulant des valeurs mobilières, entre autres, on obtienne le même plaisir. Ni, d’ailleurs, le même rendement à long terme.

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